The Hagshow — Carole Mousset — 18 octobre — 22 novembre — 2024
![](https://scroll-galerie.fr/wp-content/uploads/2024/09/Visuel-The-Hagshow-Carole-Mousset-x-Scroll-galerie-©Carole-Mousset.jpg)
En mouvement perpétuel, l’eau est aussi une archive planétaire de sens et de matière. Boire un verre d’eau, c’est ingérer les fantômes des corps qui la hantent.
Hydroféminisme, Devenir un corps d’eau. Astrida Neimanis1
Sous la surface, des œuvres trempées se baignent dans des formes qui oscillent entre gigantisme des profondeurs et fragments de coquilles. Le travail de Carole Mousset nous plonge au cœur d’une matière viscérale, là où les frontières entre le corps et ses fluides deviennent incertaines. Chaque toile, chaque sculpture s’ouvre comme une membrane fragile, laissant transparaître ce qui se trouve au-delà de l’épiderme. Les muqueuses de ces peintures nous entrainant par-delà le voile hydraté qui protège nos chairs et leur intimité. Tendues comme des nerfs à vif, ces images questionnent la pudeur de nos entrailles et forment des portails vers nos devenirs en mutation. Les corps se meuvent dans un état de transformation permanente et le fluide brouille leurs contours pour leur offrir une nouvelle plasticité. Pour The Hagshow, l’artiste réalise des paysages de chairs où des surfaces d’eaux troublées modifient la perception des formes dans un gouffre de textures molles et filandreuses.
![](https://scroll-galerie.fr/wp-content/uploads/2024/11/DSC05810.jpg)
![](https://scroll-galerie.fr/wp-content/uploads/2024/11/DSC05900.jpg)
![](https://scroll-galerie.fr/wp-content/uploads/2024/11/DSC05824.jpg)
![](https://scroll-galerie.fr/wp-content/uploads/2024/11/DSC05891.jpg)
Cette recherche sur les fluides prend sa source dans les abysses, ces profondeurs marines insondables qui regorgent de créatures à la fois effrayantes et fascinantes. La myxine, espèce animale anguiliforme, devient la protagoniste d’un récit spongieux. Elle caresse les surfaces des peintures, provoquant la sensation purulente propre à un organe sécrétant. Nécrophage, la myxine se nourrit d’animaux tombés au fond des eaux qu’elle pénètre pour en aspirer la chair. Forme de vie marine parmi les plus primitives, elle sécrète un slime qui, au contact de l’eau salée, gonfle et forme une bulle de sécurité contre ses prédateurs. Ce mucus, plus solide que le nylon, possède des propriétés enviées par la science, qui cherche à le reproduire pour la fabrication de gilets pare-balles ou de revêtements pour les navires militaires. Son nom anglais hagfish évoque le terme hag, un mot péjoratif désignant des vieilles femmes repoussantes ou les sorcières malveillantes et les femmes-démons dans le folklore des contes pour enfants. Mais sous ses airs de créature cauchemardesque, cette sorcière des abysses possède des capacités de survie remarquables. Face au danger, elle se sert de son environnement aqueux, pour redéfinir son espace intime sans avoir besoin de contre-attaquer. Créature inventive et résiliante, pour Carole Mousset la revanche du charognard océanique s’opère dans la durée ; conscient que ses prédateurs finiront proies, lorsque leurs carcasses meurtries toucheront le sol sablonneux de l’océan. Les myxines s’infiltrent silencieusement dans ses œuvres pour créer des parallèles entre les interactions humaines, nos corps et les êtres aquatiques. Les créatures amphibiennes qui peuplent son univers évoluent dans un monde liquide où les frontières entre l’intérieur et l’extérieur se dissolvent. Leur peau perméable laisse s’échapper des fluides denses, rappelant la fragilité de nos membranes humaines et des écosystèmes qui les entourent.
L’eau, inscrite au cœur de nombreux fantasmes, autant de mélancolie que de renouveau, s’infiltre ainsi dans l’exposition. Cette eau engloutit, dissout et noie, mais elle nourrit également les corps submergés. Les œuvres imprégnées de science-fiction aqueuse proposent une mythologie spéculative où les humain•e•s, les sorcier•ère•s et les myxines, en réponse aux pollutions et aux transformations climatiques, s’hybrident comme des chimères devenues capables de survivre dans des environnements aquatiques hostiles. Avec la résilience comme armure, elles arpentent les ténèbres de ces fabulations abyssales. Du film gore à l’univers cronenbergien, en passant par les TV Shows ou les séries B comme le film The Blob2 de 1958 et son remake des années 80, ces créations incarnent une mutation cinématographique aux contours poisseux et bouillonnants.
L’artiste peint des toiles qui nous avalent. Un immense ventre d’une raie côtoie des corps en pleine digestion. Les bulles de slime qui sortent de leurs innombrables orifices roulent comme des larmes le long de leur peau sans écailles. Il s’en dégage quelque chose d’à la fois doux et trempé. La peinture agit comme une veine boursouflée, offrant une interaction humide aux visiteur•ice•s qui osent s’y noyer. Ces bulles prennent parfois des reliefs lorsque que des gouttes de résine se rétractent et se figent au contact de la cire posée en fine couche sur un panneau de bois recouvert de toile. L’artiste s’autorise des allers-retours sinueux entre peinture et sculpture. Larmes perlées suintant sur leur support de lin ou coquillages laiteux arrimés à la surface des murs, la rencontre entre les deux pratiques nous guide vers les hauts-fonds boueux, territoires privilégiés des myxines. Bijoux précieux, talismans, reliques organiques, miroirs magiques, ou portails de poche vers le monde abyssal, chacune des peintures enserrée dans son écrin de porcelaine, semble laisser entrevoir des muqueuses translucides et des chevelures serpentines qui s’enlacent dans des étreintes gluantes. Ces bulles crémeuses ressemblent aux têtes qui ornent les bouches des fontaines publiques italiennes. Ces serpents de mer et autres visages de méduses convoquent leurs références mythologiques. Réinventés sous un prisme contemporain et bercés d’(hydro)féminisme, ces corps sont chargés de l’imaginaire de la sorcière marine pétrifiant celleux qui croisent son regard. Ici, une féminité séduisante, tentatrice et monstrueuse dévore les chairs pour concevoir ses élixirs.
Les céramiques qui accompagnent les peintures de Carole Mousset prolongent cette exploration de fluides et de muscles tentaculaires qui se glissent à la surface comme un monstre abyssal apparaissant à la frontière du visible. Cette angoisse des formes qui habitent le monde en frôlant la zone de minuit3 est constamment contrebalancée par les palettes de couleurs pastels et acides choisies par l’artiste. Shiny, glam, et presque girly les teintes des céramiques et des peintures de Carole Mousset s’amusent des clichés de la féminité que l’on accorde aux figures des sirènes, nymphes, naïades, méduses et autres êtres mutant•e•s qui rôdent dans les souterrains aqueux. Elles contrastent avec la nature visqueuse des sujets abordés. Des êtres chimériques se dissimulent sous des nœuds de corps et des suées de slime. Elles cultivent notre fascination pour les géant•e•s des profondeurs aux propriétés biologiques incroyables et les monstres marins des gravures qui peuplent les cabinets de curiosités autant que nos imaginaires d’aventurier•ère•s et leurs cartes au trésor.
Ces sculptures et peintures suspendues entre deux mondes forment des ponts entre l’imaginaire des profondeurs et des réalités plus tangibles. Au-delà des eaux troubles, les œuvres de Carole Mousset invitent le•a spectateur•ice à se plonger dans un bain de mer sirupeux, à franchir les membranes de porosité visqueuse. Définies ainsi par Nancy Tuana, ces membranes résistantes et perméable imbibées de fluides connectent les corps, qui deviennent alors des espaces de métamorphose. En explorant les mythologies abyssales, « il y a peu de choses qui soient d’envergures aussi planétaires et intimes que nos corps liquides »1. Carole Mousset interrogent ainsi notre rapport à nous-mêmes et à notre environnement, tissant des récits sur la vulnérabilité et la résilience de nos chairs mutantes. Tapies dans les entrailles de la terre, ses anguilles géantes et leurs muqueuses moites aux teintes poudrées nous regardent dans une hybridation entre répulsion grumeleuse et désir suave.
1 Hydroféminisme, Devenir un corps d’eau. Astrida Neimanis. Trad. Emma Bigé, Ambre Petitcolas. 2021. pp.47-56
2 The Blob. Irvin S. Yeaworth Jr, Russell S. Doughten jr. Tonylyn Productions Inc., Valley Forge Films, Fairview Productions.1958
3 La zone bathypélagique se situe à des profondeurs de 1000 à 4000 mètres. En raison de son obscurité constante, cette zone est également appelée zone de minuit. La seule lumière à cette profondeur et plus bas provient de la bioluminescence des animaux eux-mêmes. (Source : NOAA, National Oceanic and Atmospheric Administration)
Avec le soutien de Wallonie-Bruxelles International.
Texte : © Elise Bergonzi
Photo : © Carole Mousset
![](https://scroll-galerie.fr/wp-content/uploads/2024/11/DSC05865.jpg)
![](https://scroll-galerie.fr/wp-content/uploads/2024/11/DSC05816.jpg)
![](https://scroll-galerie.fr/wp-content/uploads/2024/11/DSC05863.jpg)
![](https://scroll-galerie.fr/wp-content/uploads/2024/11/DSC05887.jpg)