Sans titre — Gaspard Girard d’Albissin — 26 janv. — 1er mars — 2024
Sur le blog d’un militaire malaisien (ou peut-être indonésien, le souvenir est un peu flou), en fouillant entre des tenues aux textures ultra satinées, Gaspard Girard d’Albissin s’arrête sur une main pleine de bagues rutilantes. Sans doute un peu fasciné par cette image, il s’en saisit pour l’arrimer au reste de sa collection. D’un clic à l’autre sur des moteurs de recherche comme Yandex, le peintre étoffe sa banque d’images, parfois sans trop questionner leur provenance. Sa curiosité pour ces bribes de réalité se situe ailleurs : dans le simple fait qu’elles auraient pu lui échapper. Une fois l’image capturée, l’envie d’en faire un tableau émerge et s’accompagne toujours de la satisfaction énigmatique qu’elle procure. L’artiste remonte alors la piste des images, fouille pour en trouver d’autres, similaires à la première, jusqu’à tomber sur celle qui servira de base pour la peinture. Il faut aller chercher l’image parfaite qui permettra de peintre les cheveux de Dennis Rodman. Le choix final semble toujours évident et souvent, la première trouvaille était la bonne.
Une paire de Santiags un peu usées, une tête couverte de chignons bien épinglés, un chemisier de satin sur un torse morose, un pissenlit défraîchi, un petit oiseau venu se poser sur une main tendue… Gaspard Girard d’Albissin questionne et s’amuse de ces fragments de réel sans vraiment chercher à leur donner une histoire. Les passionné•e•s d’oiseaux sur les Skyblogs des années 2010 et leurs photos maladroites prises avec le flash d’un vieil appareil photo compact racontent alors tout ce que l’on peut apprendre d’une image privilégiée. Ces clichés sans intention esthétique se gorgent d’accidents cocasses qui profitent au plaisir de la peinture. Les sites porno amateurs, les photos des soirées Fashion Week prises de travers ou les blogs de militaires malaysiens et leurs costumes de satin qui mènent à des pubs de bijoutiers un peu cheap deviennent alors une mine d’or pour Gaspard Girard d’Albissin. Chaque image qu’il en extrait se ponctue ainsi d’une anecdote farfelue qui vient presque s’opposer à l’esthétisme mielleux de certains tableaux. La gomme Dammar mélangée à la térébenthine achève de leur donner une brillance fluide et révèle la tendresse dissoute qui s’infiltre dans la composition.
« Silencieuses et impondérables, les images et les nouvelles de cette époque révolue sortaient un instant de l’ombre et s’éteignaient tout aussitôt, chacune porteuse de son mystère éventé. »*
Vertiges, W.G. Sebald
Gaspard Girard d’Albissin collectionne les brides de textes comme il collectionne les clichés. Des petits morceaux de paragraphes empruntés la philosophie et la littérature souligne son goût pour l’esthétisme. Mais au-delà d’une recherche formelle, le peintre prête avant tout un intérêt certain pour les détails aux présences diffuses. Il construit ainsi des portraits-paysages empreints de réel, dans des tableaux où des fleurs qui poussent au mauvais moment de la saison deviennent transparentes, glacées dans un manteau d’hiver indécis. Pour lui, c’est en allant piocher dans les choses auxquelles on accorde peu d’attention, qu’on semble avoir le plus de chance d’accéder à quelque chose de vrai.
* Winfried Georg Sebald. Vertiges. Acte sud, 2001, 240 p. (p.112)
Texte : © Elise Bergonzi
Photo : © Gregg Bréhin