France Design Week — Exposition collective — 13 - 29 septembre — 2024
Florence Hamon, Sandrine Moysan, Amélie Patry, Simon Thiou et Nicolas Zanoni
Extraire, ériger, mouler, incurver, tordre, rouler, brûler, modeler, assembler, creuser ; faire œuvre de sculpteur•ice autant que d’architecte. Parfois déguisés en objets de design et en mobilier, des fragments de réels dialoguent avec ferveur. Ils débattent de la provenance de leur matière et refusent son inertie. Des textures molles se travestissent en surfaces endurcies et des masses écharpées s’essayent à des exercices de souplesse. Mouvantes, elles s’élancent à la découverte de territoires ou de formes insoupçonnées. Les objets deviennent des monuments naturels et les meubles nourrissent des désirs de sculptures. À travers les œuvres de cinq designer•euse•s et artistes, cette exposition invite à pénétrer dans la courbure des formes et dans la porosité des matériaux usuels qui nous racontent des histoires concassées.
Entre design, sculpture et architecture, l’exposition creuse dans la manière dont nous percevons et interagissons avec les objets et les espaces qui nous traversent. Elle se concentre d’abord sur l’acte de construire, un geste fondamental qui renvoie à notre capacité humaine à ériger et à structurer notre environnement. Construire avec peu, avec ce qu’il reste, avec ce qui est caché, voilé ou dissimulé, bien que sensible à la vue de toustes. En recherche d’équilibre fragile, de tension ou de relâchement, les designer•euse•s et les artistes interrogent la matière avant de chercher à la faire tenir. Iels questionnent tantôt sa composition, tantôt ses limites. Iels lui demande de raconter son histoire singulière.
« Creuser le sol, c’est aussi faire œuvre de sculpteur en même temps que d’architecte »
Les bénéfices de l’usure, Hélène Meisel
Ainsi, béton, brique, argile, acier, polystyrène et papier calque s’agencent dans la galerie sans que rien de soit dû au hasard. L’enroulement est millimétré. La matrice est éventrée par tous les angles pour produire le moule. L’argile fait ressentir sa provenance. Le béton se laisse nonchalamment apprivoisé. La brûlure saisit les chairs synthétiques comme un point de suture.
Ces gestes révèlent une attention minutieuse au processus de réalisation induit par le matériau, et le plaisir de l’expérience permet de redéfinir ses fonctions structurelles ou usuelles. À la marge de la simplicité, dans la faille spongieuse où le low-tech frôle l’élégance, les designer•euse•s et les artistes jouent avec les évidences de la matière pour émettre de nouvelles hypothèses. Ces œuvres témoignent de notre manière de coexister avec les matériaux qui nous entourent, d’accompagner leurs transformations, de respecter leurs rythmes et leurs fluctuations.
Mono-matériau, mono-couleur et finesses des gestes tendent les fils conducteurs des récits de chaque forme qui se taillent dans la masse. Cette masse est urbaine, industrielles, issues des rebuts up-cyclés de la ville et ses architectures ; mais elle est aussi naturelle, issue d’éléments minéraux et végétaux qui s’entrechoquent sans s’affronter. Elle vient épouser nos formes, celles de nos corps comme celles des mains et des outils qui la travaille, explorant ainsi les interactions entre objets, mobiliers et usagers. Ils prennent alors vie sans supplanter celle des autres et témoignent de leurs propres aventures, souvenirs, anecdotes et territoires explorés.
Parfois, il s’agit de questionner ce qui se passe sous la surface et de produire un objet qui questionne ces récits. À d’autres endroits, le jeu se situe dans le changement d’échelle ou dans son absence. Observant les contours des formes dissoutes et ce qui échappe au regard, les designer•euse•s et les artistes interrogent notre perception des lieux que nous habitons. Iels semblent vouloir rendre vivantes les formes inertes et inversement, insufflant une nouvelle vie à des éléments souvent considérés comme statiques. Iels réinterprètent des bribes de réel mouvementées, créant un lien subtil mais puissant entre sculpture, objet et architecture. Il y a comme un retour à l’essentiel, dans des œuvres où chaque geste, chaque forme, et chaque matière raconte une histoire, celle de notre capacité à inventer des mondes qui empruntent à notre réalité sa sensibilité et son intelligence.
Texte : © Elise Bergonzi
Photo : © Gregg Bréhin