À nos corps lichens — Exposition collective — 1 déc. 2023 — 19 janv. 2024
Amélie Bernard, Rose-Mahé Cabel, Omar Castillo Alfaro, Mathilde Fenoll, Charlotte Gautier van Tour, Arthur Kostadinoff, Lou Masduraud, Anousha Mohtashami, Emma Passera, Céleste Richard Zimmermann et Yan Tomaszewski
Entre les filaments d’un mycélium infini, cette exposition conte des récits issus de mondes pluriels. Des corps en symbiose y murmurent le bruit de formes merveilleuses qui flirtent à la frontière de nos réalités contemporaines. Chaque artiste fait fleurir un ensemble d’histoires et de références dont l’entremêlement s’efforce d’ouvrir nos regards à des futurs possibles. Entre actes de soin aux propriétés régénératrices et présences en mutation, l’exposition abrite des oeuvres, des humain•e•s et des pensées artistiques, poétiques et politiques qui puisent dans les symboliques véhiculées par des écosystèmes fluides.
La figure du champignon, des lichens et des microorganismes qui peuplent nos biomes* est un fil conducteur distendu qui vagabonde entre les formes mutantes dispersées dans la galerie. Espèces invasives, ni végétal ni animal, pluricellulaires ou unicellulaires, les mycètes – plus communément dénommés champignons -, sillonnent tous les environnements naturels terrestres y compris les fonds océaniques. Comme un réseau de veines neuronales, leurs hyphes** s’étendent pour connecter les êtres-vivants dans des univers qui nous semblent invisibles. Leurs symboliques sont aussi multiples qu’ambivalentes. Tantôt reflet de maladie, de toxicité et de destruction ; tantôt image de résilience, de chance et renouveau ; les symboliques des champignons tissent des imaginaires du soin qui depuis longtemps nous aide à voyager et faire symbiose à la souche de nos existences.
Dans la galerie, les murs, le sol et le plafond se peuplent d’acteur•ice•s interrogeant certains espaces en marge pour produire des métamorphoses. Des corps en miroir revêtent des parures végétalisées ou s’activent comme des portails capables d’ouvrir de fines brèches spatiotemporelles. Ici, l’humain•e, le minéral, le végétal et l’artificiel mutent, s’hybrident, se cristallisent et cohabitent comme un ensemble de filaments rizomorphes. On y murmure nos capacités de guérison. On y entrevoit des présences dissoutes. L’espace infuse de gestes et de symboles issus de diverses traditions qui appellent à leur revalorisation. Certain•e•s artistes nous guident vers des fabulations spéculatives*** entre deux mondes ou entre deux âges, qui témoignent de nos futurs potentiels. D’autres se glissent dans la porosité de nos corps, de nos murs ou de nos refuges imaginaires, pour ponctuer ces récits du passage et concevoir une échappatoire organique vers des ailleurs plus poétiques.
Ancrage dans des recherches scientifiques, hommages artistiques et historiques, gestes politiques entre soins et révoltes, fermentation de récits collectifs et intimes ; l’exposition offre un dialogue emprunt de rituels culturels contemporains. Dans une contagion délicate, ils frôlent certains mythes et légendes aussi bien historiques qu’inventés. L’exposition cherche au coeur des formes, des moyens de retrouver un enchantement dans nos failles, nos tristesses, nos joies, mais aussi dans nos tendresses ; pour réactiver, cultiver et chérir nos espoirs communs.
Au seuil des méandres sinueux d’une forêt dense et sans âge, entre les racines qui s’enchevêtrent sous les eaux des marais, ou entre les cheminées des récifs de calcaires sous-marins, des formes sinueuses questionnent la viabilité de nos espaces socio-écologiques autant que politiques. À la manière des spores de champignons qui assurent la survivance aussi bien de l’espèce que de l’ensemble des organismes d’un écosystème, les oeuvres de l’exposition nous permettent de creuser dans une capacité à entrevoir la régénération de nos réels.
* Un biotope est un milieu biologique présentant des conditions environnementales uniformes qui offre un espace viable pour les êtres-vivants.
** Un hyphe est un élément végétatif filamenteux, souvent à plusieurs noyaux cellulaires, dont l’ensemble constitue le mycélium des champignons supérieurs, de certaines algues, ou des lichens. Il peut mesurer plusieurs centimètres de long mais n’avoir que quelques microns de diamètre, à l’état isolé, il peut donc être invisible à l’œil nu.
*** La fabulation ou la narration spéculative, est un terme emprunté à Donna J. Haraway qui s’apparente à la SF (science-fiction ou specutative fabulation en anglais). « Raconter des histoires et rapporter des faits, configurer des mondes et des temps possibles – des mondes matériels-sémiotiques disparus, actuels et encore à venir -, voilà ce que signifie SF ». (Donna J. Haraway. Trad. Vivien García. Vivre avec le trouble. Vaulx-en-Velin : Les Éditions des mondes à faire, 2020, p.59)
Texte : © Elise Bergonzi
Photo : © Gregg Bréhin